Essai Mercedes 500 E : Jacques Laffite en a eu trois !

12.12.2022

11 juin 1955, la Mercedes-Benz 300 SLR de Pierre Levegh percute l’Austin Healey de Lance Macklin au 35e tour de la 23e édition des 24h du Mans. La Mercedes s’envole, explose et se disloque dans un public compact provoquant le plus gros accident du sport automobile de l’histoire. Avec 84 morts et 120 blessés, le bilan est lourd et scelle l’avenir sportif de Mercedes. La décision est prise de se retirer de la compétition automobile pendant de nombreuses décennies. Un choix qui impactera la gamme du constructeur avec l’absence pendant plusieurs années de voitures sportives comme a pu l’être la 300 SL. 

Le retour sportif de Mercedes

Le temps s’écoule et la décennie 80 pointe le bout de son nez. Mercedes reprend le goût du sport en devenant motoriste de la Sauber C9 en Endurance. Sur les circuits, les voitures à l’étoile se livrent à une bataille sous la bannière AMG. Créé en 1967, le préparateur spécialisé dans les Mercedes a engagé des 300 SEL avec moteur 6.8 litres en 1971 qui marquent les esprits aux 24 h de Spa. Les années 1980 sont marquées par le Minitel, le tube “ I want to break free ” de Queen et le célèbre film E.T. L’extra-terrestre. Cette décennie est aussi celle du DTM, ce championnat allemand de voiture de tourisme lancé en 1984 et qui devient rapidement un succès médiatique avec des voitures au look agressif, des courses spectaculaires et de nombreux sponsors. La porte d’entrée idéale pour donner une image plus sportive aux Mercedes plutôt habituées aux palaces et aux Autobahn. Avec l’aide d’AMG et de Costhworth, pour le moteur, l’étoile va sortir une surprenante voiture au look radical. La légendaire 190 Evo puis Evo II. 

Un premier projet sportif qui va donner des idées à la direction de Mercedes. À la fin de cette décennie, le segment des berlines sportives créé par BMW est à la mode avec de nombreux acteurs. BMW est présent avec sa bestiale M5, Lancia lance une luxueuse Thema 8.32 propulsée par le moteur de la Ferrari 308 et Mercedes décide en 1989 de ne pas les laisser faire avec son projet de berline sportive, la 500 E.

Le seul problème, c’est que Mercedes n’a pas les compétences pour créer une voiture de sport. La 190 Evo a été confiée à AMG et pour ce nouveau projet, le constructeur va aller voir son voisin : Porsche. 

Une alliance fructueuse

Pour la partie moteur, Mercedes est autonome et choisit de glisser au chausse-pied, le gros V8 5.0 présent sur la luxueuse SL 500. La puissance est inchangée avec 326 ch mais il est légèrement revu au niveau de l’admission et de l’injection notamment, pour obtenir plus de couple (480 Nm). Le projet commence bien. Porsche vient mettre son grain de sel dans le développement du châssis pendant deux ans, mais quand on a une étoile qui trône au bout du capot, on se doit de respecter un certain standing. Le compromis est imposé par le constructeur à l’étoile. La 500 E doit rester suffisamment confortable. Les ingénieurs de Porsche décident donc d’élargir les voies (+37 mm à l’avant et +38 mm à l’arrière) et de raccourcir de 30 mm les suspensions tout en gardant des ressorts souples. 

À l’extérieur, il ne faut pas tomber dans la vulgarité et rester sobre. Ils ne pouvaient pas mieux faire tellement il n’est toujours pas simple de différencier une version standard de cette 500 E. L’avant est la partie la plus reconnaissable avec ses ailes bombées et son pare-chocs revu mais pour le reste, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. 

À l’intérieur, même exercice, c’est luxueux et très bien fini et le sport ne se ressent que dans les sièges plus enveloppants et le compteur jaune. Autre indice sportif, la 500 E n’est qu’une quatre places pour laisser passer l’arbre de transmission et le gros différentiel. Une Mercedes digne de son standing qui était très bien équipée pour son époque (vitres électriques, régulateur de vitesse, fermeture centralisée, climatisation...). Heureusement vu son prix très salé de 500 000 francs à l’époque ! Un prix qui s’explique en partie par sa fabrication complexe. La 500 E était produite en partie chez Porsche à Zuffenhausen sur les anciennes lignes de la mythique 959. La carrosserie était assemblée dans cette usine avant de partir chez Mercedes pour le traitement anticorrosion et la peinture. Elles revenaient ensuite chez Porsche pour l’assemblage final et repartaient de nouveau chez Mercedes pour un dernier contrôle...

Jacques Laffite : des étoiles dans les yeux

Une voiture de caractère qui a séduit un grand amateur de Mercedes, notre Jacques Laffite national. L’homme aux 176 Grands Prix raffole toujours de ces merveilles étoilées. Cet ami de la maison a pris le plaisir de revenir pour vous, chers lecteurs, sur son amour pour la 500 E.

“ J’ai toujours été un fan des Mercedes qui sont des voitures extraordinaires de par leur confort et leurs finitions. Après un magnifique SL 500, j’ai eu plusieurs 500 E. Trois exactement. Une voiture formidable que j’ai appréciée pour sa discrétion. Une discrétion qui en surprenait plus d’un lorsque le feu passé au vert, comme au moment de ma première victoire au GP de Suède en 1977 quand je suis passé de 8e en grille de départ à la pole position. Sa tenue de route était remarquable pour l’époque. J’apprécie beaucoup plus les voitures sous-vireuses qui sont pour moi plus simple à placer dans la trajectoire idéale et plus sécuritaire à haute vitesse. La 500 E est exactement comme ça et c’était un régal à emmener sur les départementales à des vitesses qui ne plaisaient pas beaucoup aux hommes en bleus. Je me souviens que j’avais fait sauter la bride moteur et la 500 E prenait plus de 280 km/h en vitesse de pointe. Je ne vais pas vous faire un dessin. J’en garde de très bons souvenirs ”. Jacques Laffite

Jacques résume parfaitement l’esprit de cette voiture qui n’a pas perdu de sa superbe encore aujourd’hui. 

250 km/h et puis c’est tout !

Contact, moteur. Le gros V8 se réveille dans un feulement grave mais élégant. Avec la boîte automatique placée sur la position D, la Mercedes dévoile sa première personnalité de grande routière. Le confort est bien réel avec une voiture jamais cassante et une filtration exemplaire compte tenu des performances. Une Mercedes doit garder son standing et ne pas perturber sa trajectoire. La direction assistée va aussi dans ce sens en étant assez légère et pas très directe. Dès que la route serpente, le compromis se ressent avec une dose de roulis. Pas d’inquiétude pour autant, grâce à la magie Porsche qui permet de rouler fort dans les grandes courbes. Dans les virages plus serrés, la 500 E trouve ses limites, là où une BMW M5 commence à s’amuser. L’intervention de l’ASR se ressent, mais permet de rouler en toute tranquillité. C’est ça l’esprit Mercedes. Toutefois, on se prend à passer de plus en plus vite à mesure que le châssis révèle tout son potentiel et que le léger sous virage, en entrée de courbe, est appréhendé. Le train arrière est vraiment l’arme fatale avec une excellente confiance dans ses appuis. Porsche a aussi fait des merveilles avec le freinage qui a une très bonne attaque tout en étant endurant, vu le poids de la machine (1775 kg). Une masse qui est pourtant gommée par le couple du V8. Un moteur qui n’était pas destiné à avoir des prétentions sportives et il n’en a toujours pas. La zone rouge s’arrête là où commence celle de ses concurrentes. Avec un régime maximum de 6000 tr/min et un couple maximal disponible dès 3900 tr/min, le moteur n’aime pas prendre des tours et garde son esprit de moteur noble pour voiture de luxe. La boîte automatique qui lui est imposée va dans le même sens du déplacement sans contrainte. Une noblesse appréciable qui laisse entrevoir des accélérations frissonnantes. En verrouillant la boîte sur l’un des rapports, le moteur montre tout son potentiel. Pied au plancher, l’étoile au bout du capot se met à pointer vers le ciel. On a l’impression que la poussée ne va jamais s’arrêter et le compteur ne fait que confirmer cette impression. Les sensations sont garanties ! 

Collector

L’alliance de deux noms prestigieux a donc créé une voiture fascinante dotée d’une forte personnalité. Un vrai mythe qui symbolise à elle seule toute la folie de l’industrie automobile des années 80 et 90. Un caractère unique issu d’une symbiose parfaite entre luxe et sportivité. Une voiture de connaisseur qui vous prend aux tripes quand la route se dégage devant vous. Coup de cœur assuré !

Photos et texte par Donatien Le Clainche

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