Si les racines d'Audi remontent au début du XXe siècle, ce
n'est réellement qu'à partir des années 60 que la marque réapparaît sur le
devant de la scène en tant qu'entité distincte, après avoir été reprise par VW.
L'objectif était clair : faire d'Audi une marque aussi prestigieuse que
Mercedes et BMW. Créer une telle image de marque n'était pas une sinécure.
Grâce au talent de l'ingénieur Ferdinand Piëch, qui a notamment supervisé la
conception de la Porsche 917, Audi a pris un virage technologique et sportif
pour se faire connaître. La technologie a joué un rôle majeur, avec des
innovations telles que la transmission intégrale permanente adoptée en grande
série avec la Quattro, ou encore l'introduction, au sein du groupe VW, du
premier moteur turbo diesel à injection en 1989. Dans les années 80 et 90, un
autre vecteur de communication incontournable était bien sûr le sport
automobile. Audi s'est illustré sur les circuits et les pistes du monde entier
grâce à son engagement en Groupe B et en DTM.
Les exploits ne se retrouvent que timidement sur la route
avec des coupés sportifs, comme l’Audi S2, un peu en retrait de la concurrence
en termes de puissance. Il faut donc frapper un grand coup pour entrer dans le
cercle très fermé des familiales sportives. Audi a donc l’idée de faire appel à
Porsche, alors en proie à des difficultés financières, pour développer un
projet spécial, à l'instar de Mercedes avec sa 500 E (lire Essai Mercedes 500E : Jacques Laffite en a eu trois !). Porsche va
ainsi développer sur la base d’une S2 Avant le premier break sportif de
l’histoire. Les carrosseries des S2 étaient prélevées des chaînes d’assemblage
sans pare-chocs, ni rétroviseurs et sans certaines parties de l’intérieur, puis
envoyées chez Porsche pour la finalisation. Sous le capot, les ingénieurs de
Stuttgart ont repris le moteur 5 cylindres 2.2 de la S2 tout en modifiant
énormément de pièces (arbre à cames, injecteurs, turbo...) pour en tirer 315 ch
et 410 Nm de couple. Les liaisons au sol ne sont pas en reste avec une caisse
rabaissée, des amortisseurs Bilstein spécifiques, des triangles de suspension
coulés ainsi que des freins et des jantes Cup issus de la gamme Porsche. Le kit
carrosserie est également dérivé des Porsche 911 avec des rétroviseurs repris
directement et des pare-chocs inspirés des 964 et 993 (lire essai Porsche 911 type 993 : la fin d'une "air"). Le
bandeau de feux arrière est aussi un clin d’œil aux 911. À l’intérieur, la
sellerie en cuir et alcantara spécifique, le volant ainsi que les fonds de
compteur et manomètre blancs donnent le ton d’une ambiance sportive.
Ainsi naît l’Audi RS2, qui innove en créant le segment des
breaks sportifs capables aussi bien de transporter la famille en vacances que
de rivaliser avec les meilleurs coupés sportifs sur une route dégagée, avec ses
5,4 s pour atteindre 100 km/h et ses 262 km/h en vitesse de pointe. La RS2 a
donc lancé la grande lignée des breaks sportifs chez Audi, ayant pour émules la
RS4 en 2000 et la RS6 par la suite. Ainsi, pour célébrer les 20 ans de son
icône en 2014, Audi a présenté une édition limitée, l’Audi RS4 Nogaro
Selection.
Cette édition limitée à 130 exemplaires dans le monde se
distingue de la RS4 classique par sa configuration unique en bleu Nogaro, où
tous les contours de calandre, de vitres et d'échappement sont teintés en noir.
Le bleu Nogaro a sa propre histoire, étant devenu la couleur la plus populaire
parmi les 10 teintes proposées sur la RS2 à l'époque. Cette teinte a pris le
nom du célèbre circuit gersois grâce à la double victoire (12 avril et 10
octobre) de Frank Biela avec une Audi 80 sur le circuit de Nogaro lors de la
saison 1993 du Championnat de France de Supertourisme. Presque 30 ans jour pour
jour après la victoire du 10 octobre 1993, nous avons pu lui rendre hommage à
notre tour en plaçant notre RS4 Nogaro Selection sur le circuit de Nogaro.
C’est certainement la seule et unique fois que cette édition limitée a foulé la
piste qui porte son nom.
Pour le reste, on retrouve un intérieur de qualité
typiquement Audi, très bien fini avec de nombreux matériaux nobles tels que le
cuir, l'alcantara, le carbone et l'aluminium. La planche de bord a bien vieilli
et seul l'écran central accuse son âge, mais l'ergonomie est toujours au
niveau. Cette édition se distingue par des badges spécifiques “ Nogaro
Selection ” et une sellerie en cuir noir et alcantara bleu. Le carbone arbore
également un liseré bleuté, du plus bel effet.
L'ambiance est à la fois haut de gamme et sportive avec le
système audio optionnel Bang & Olufsen, les sièges Recaro et le volant à
trois branches avec méplat.
Pied sur le frein, j'appuie sur le bouton start. Le V8 4,2
s'éveille dans un grondement fort, appréciable jusqu'à se contenter d'un doux
glougloutement une fois le régime stabilisé. Sous le capot, la course à la
performance et au prestige a conduit Audi à adopter un moteur V8 sans
suralimentation. Adopté dès la génération précédente, il a été retravaillé
légèrement pour gagner en performance et en efficience. Il affectionne
particulièrement les hauts régimes, ce qui est rare pour Audi, délivrant ses
450 ch à plus de 8250 tr/min et ses 430 Nm de couple entre 4000 et 6000 tr/min.
En pratique, le V8 est assez linéaire et monte rapidement dans les tours. On se
surprend à vite passer les vitesses à l'approche de la zone rouge perchée à
8500 tr/min. Le son, ou devrais-je dire la symphonie, s'éveille progressivement
tout comme la hargne du moteur, virant de plus en plus vers l'aigu en même
temps que les 8 cylindres s'activent pour délivrer toute leur force.
Cette mécanique d'exception ne serait rien sans un contrôle
parfait de cette puissance jusqu'à la route. Un travail considérable a été
réalisé pour augmenter la rigidité en torsion du châssis et réduire les masses
non suspendues grâce à l'utilisation massive d'aluminium pour les trains
roulants. La masse totale n'a jamais été le point fort de ces grands breaks,
pesant ici 1870 kg, mais c’était mal connaitre Audi et son amour pour la
technologie pour arriver à gommer cette masse sur la route.
La plus ancienne des technologies, le Quattro, est bien
évidemment de la partie avec un nouveau différentiel central ayant une
répartition de 40:60 en temps normal, mais capable de transmettre plus de 70%
du couple moteur à l'avant et jusqu'à 85% à l'arrière. Un concert orchestré par
le différentiel sportif de notre modèle qui répartit la puissance séparément
entre les roues arrière. L'Audi Drive Select dicte les lois de toutes ces
technologies (accélérateur, boîte de vitesses, amortisseurs, direction, échappement...)
à travers quatre modes : Confort, Auto, Dynamique et Individual. La route vers
Nogaro est très variée et m'a permis de découvrir toutes les facettes de
l'auto. En ville et dans les embouteillages de Toulouse, le mode Confort
s'apprécie pour sa souplesse, évitant une conduite rigide malgré les belles
jantes de 20 pouces et les sièges Recaro. La boîte à double embrayage S Tronic
à 7 rapports se fait oublier et réagit assez naturellement.
Une fois l’agitation de ville passée et l’horizon dégagé, la
RS4 emprunte la grande nationale à 2x2 voies qui est clairement son domaine de
prédilection. Les performances du moteur permettent d'atteindre facilement les
110 km/h autorisés (0 à 100 km/h en 4,7s), et les relances semblent infinies
tant le V8 a du coffre. Les raccords sont absorbés avec un peu de fermeté, mais
c'est nécessaire pour une voiture capable de flirter avec les 280 km/h en
vitesse de pointe. Ce TGV avale les kilomètres de voie rapide en toute quiétude
grâce à ses 4 roues motrices et sa stabilité dans les grandes courbes,
légèrement sous-vireur. La capitale du Gers, Auch, s'éloigne derrière moi,
laissant place à son lot de départementales très passantes et assez ennuyeuses.
La plupart du temps, le mode Individual était activé avec la direction et
l'amortissement en mode Dynamique pour une meilleure précision, mais une boîte en
mode Confort pour plus d'efficience.
Soudain, la route offre quelques moments de plaisir indiqués
par des panneaux en triangle rouge signalant une route sinueuse. J'abaisse
l'excellent son du système Bang & Olufsen, je sélectionne le mode Dynamique
et j'actionne le mode manuel de la boîte de vitesses. La confiance n'est pas
forcément immédiate quand on est habitué à des voitures très précises comme les
BMW. À l'entrée en virage, la RS4 sous-vire comme une traction, puis se
stabilise naturellement pour une efficacité redoutable avant d'envisager
légèrement un survirage pour sortir plus rapidement de la courbe. Dans les
enchaînements, le maintien de la caisse montre ses limites avec une prise de
roulis perceptible due à la masse. À la réaccélération en sortie de courbe, on
ressent que le système Quattro est basé sur une architecture traction puisqu’il
peut élargir la trajectoire. C'est une philosophie à adopter, on adhère ou pas,
mais dans tous les cas, cette RS4 se montre suffisamment agile et digne de
confiance dans ces situations délicates. Il lui manque simplement un peu de
ressenti et de connexion à la route avec une direction avare en informations.
La boîte réagit très rapidement lors des montées de rapport
grâce à la technologie du double embrayage, mais reste toujours un peu en
retrait lors des rétrogradages.
Le panneau Nogaro apparaît dans la pénombre, bien éclairé
par les feux xénon adaptatifs, une autre spécificité d’Audi. J'actionne une
dernière fois les freins à l'efficacité redoutable (disque de 365 mm et étriers
à 8 pistons à l'avant), laissant entrevoir malgré tout la masse de la voiture.
Je peux déjà dresser le bilan de cette RS4 quelque peu spéciale. La philosophie
créée par Audi est intacte depuis presque 30 ans aujourd'hui. L'Audi RS4 est
capable de vous emmener partout dans toutes les conditions, avec une maîtrise
rassurante. Elle est bonne pour tout faire, des trajets quotidiens aux longs
voyages sur autoroute, tout en pouvant rivaliser avec des sportives d'un rang
supérieur sur des routes sinueuses. C'est un véritable couteau suisse, bon
partout, mais pas forcément excellent dans un domaine, si ce n'est dans celui
du transport à haute vitesse sans encombre. Cette Audi RS4 Nogaro Selection est
donc la prétendante idéale pour s'approprier un morceau de l'histoire
automobile, ayant vu naître une sportive d'un nouveau genre. Ces Audi RS ont
fait des émules, mais elles bénéficient toujours d'une aura certaine,
appréciable ici dans une édition rare qui rend en plus hommage à notre région
et à son circuit de Nogaro. Pour clore la boucle, Jacques Laffite, qui
entretient un lien particulier avec le circuit de Nogaro en ayant débuté en
tant que mécanicien avec Jabouille, a été passager de cette voiture le temps
d'un week-end à Nogaro. Cette Audi RS4 Nogaro Selection est définitivement une
version très spéciale.
Photos et texte par Donatien Le Clainche